Yaya Bela revisite l’infime espace entre la puissance des femmes* et la nature sauvage. 
Mettant en scène des personnages hybrides et connectés au monde végétal et animal dans lesquelles les frontières entre les genres et les univers sont plus fines, elle nous invite ainsi à contacter et nous rapprocher davantage de la poésie qu’elle perçoit en ce monde.

La réappropriation des corps et des espaces, la puissance du dedans, la résilience, la recherche du point d’union entre le ciel et la terre, la connexion à la nature sont autant de thématiques qu’elle
veut aborder dans sa pratique du dessin et ainsi proposer des surfaces dans lesquelles les corps
se mêlent à la faune, la flore et le cosmos et ne s’en distinguent plus vraiment.
La représentation du corps féminin* permet tout à la fois une projection — car comme elle
l’identifie elle-même « dans le processus créatif, partir de soi, de sa vision du monde, de ses
frontières physique et de sa corporalité semble le plus évident » mais aussi la mise en avant du
corps comme territoire politique de lutte pour les droits des femmes. Réaffirmant avec joie et douceur que la beauté est partout quand nous brisons nos chaines pour clamer notre puissance du dedans, ces images simples et poétiques se veulent aussi l’écho d’une transformation et d’une libération intérieure. Ainsi, par ses dessins, elle aspire à initier un renouvellement de l’image des femmes, de leurs
corps et de leurs ambitions.
Au delà du corps dit « féminin », c’est la puissance présente en chaque femme* que Yaya Bela
veut invoquer. Ainsi, dans la manière d’explorer les différentes corporalités et leur fusion avec le
végétal il y a le désir d’exprimer la porosité des genres et l’empuissancement des beautés queer,
ces corps qui assument et révèlent la lumière qu’ils portent en eux. Dans un mouvement de
l’intérieur vers l’extérieur — et vice et versa, comme une respiration profonde, pouvoir mettre en
matière ses ressentis et laisser librement exprimer qui l’on est ; laisser vivre son corps en respect
de l’organique intérieur.
Dans l’image, elle aime à créer le trouble ou l’émotion chez celui ou celle qui la regarde et telle une
connexion de coeur à coeur, faire corps avec la personne regardant à travers l’image, mettre en
lumière un ressenti enfoui — ouvrir une petite fenêtre intérieure. C’est en quelque sorte une
manière de revisiter les mythes originels et de clamer leur importance pour chaque individu mais
aussi pour nous collectivement en tant que société. Et ainsi questionner ce que pourraient être ces
nouveaux réservoirs de sens et d’inspiration dans lesquels nous pourrions aller puiser du positif.
Réinventer des histoires communes qui font sens et qui seront perçues comme des vérités à un
niveau symbolique. Les nouvelles allégories proposées osent rêver incarner les outils puissants
espérés pour accompagner le changement ou les transformations.
Empreintes d’une fausse innocence, ces images simples appellent au questionnement et donnent
matière à notre imagination, incarnant le point de départ de récits d’immanence.

Le dessin est la première approche créatrice de Yaya Bela, la source de tout son travail, le fond d’où surgissent les sculptures et la matière. Le dessin est indispensable car il permet de fixer les
images qui surgissent, tels des flashes, dans ses pensées. Ces instantanés, ces pensées
volantes, il faut les saisir au vol et les coucher sur le papier, comme on collectionnerait les
insectes.
C’est lorsqu’elle croit avoir réussi à tout dire, tout exprimer, tout donner à voir dans une image, puis
se prend à découvrir des détails ou des sens qui lui avaient échappés que le dessin prend toute sa
force, laissant suinter la poésie parfois étrange qui s’en échappe malgré elle.
Les images ainsi créées serviront de base à un imaginaire plus vaste, une base de données pour
la création de sculptures ou d’installations. Dans cette activité régulière, autonome et menée en
parallèle de son travail de la porcelaine, le dessin fait office de journal intime, d’émotions
compilées.
En favorisant la répétition du geste, l’absorption dans la litanie du trait, Yaya Bela se crée ainsi un
espace méditatif qui permet les révélations et l’accès à un état de conscience modifié. La forme
créée et le sens s’élaborent au fur et à mesure de l’inscription de la trace.
Les techniques employées changent en fonction du style et des nécessités formelles, mais elle
marque cependant une prédilection pour le stylo et les encres noires. Les traits sont simples et le
matériel réduit au minimum. Noir sur blanc, bic, feutre à pointe fine et encre, papier glané en
fonction des opportunités.
Suivre le fil du déroulement des dessins de Yaya Bela permet en fait d’aborder de nombreux
aspects de sa démarche créatrice : c’est le fil conducteur de sa personnalité qui se révèle
directement sur toutes ces pages de papier.
La prolifération quasi organique et constante du dessin permet toutes les métamorphoses et le
passage d’un thème à un autre.
« J’ai toujours l’impression que je n’aurai jamais assez de temps pour dire tout ce que j’ai à dire.
Les sujets traités dans les dessins ne sont souvent traduits dans la 3D que plusieurs années
après, parfois jamais. Par conséquent, il y a beaucoup de choses qui apparaissent dans les
dessins et qui ne sont jamais explorées dans les installations ou les sculptures. »
Le travail de sculpture permet une mise en forme et en dimension des pensées et des concepts
effleurés dans les dessins. En voulant rendre le visible tangible et palpable il s’agit de donner à
voir l’émotion canalisée par l’artiste.

Dans une quête perpétuelle de mise en matière de ses idées, Yaya Bela travaille la porcelaine
pour donner à voir un univers évocateur, sensible et intimiste.
En baignant dans l’univers de l’image depuis petite, d’abord en étant modèle pour son père
photographe puis en expérimentant elle même la photo et la chambre noire en passant de l’autre
côté de l’objectif, elle crée ainsi le siège d’une relation à la mémoire, la nostalgie et le souvenir très
ancrée dans sa pratique plastique. Ses études d’Arts Plastiques puis d’Édition la poussent à
questionner les liens entre le contenant et le contenu, la frontière poreuse entre l’objet et
l’intention, l’écrin qui porte une oeuvre, les petits détails qui font la préciosité de celle-ci…
L’ambivalence entre l’amour de la matière brute et celui du détail l’amène à travailler la porcelaine
et à mettre au point un dispositif précis et ritualisé pour figer les multiples détails d’objets, de
vêtements ou de végétaux dans la blancheur froide et dure de la terre blanche ainsi cuite. Les
sculptures ainsi travaillées se rassemblent en un panthéon personnel et intime proche du
reliquaire.
Son rapport à la matière est à la fois intime et puissant, conceptuel et physique,
contemporain et ancré dans les pratiques ancestrales de la terre.
Le propos artistique de Yaya Bela, aussi personnel qu’il semble universel, tend à créer cet espace
commun, cette fusion d’émotions et de quêtes que l’on partage comme un écho avec l’artiste.
La matière, la sculpture, c’est l’objet de vie, l’artefact qui défie toute banalité, qui n’a que faire de la
description mais qui, tout au contraire, nous confronte au sentiment puissant de ce qu’il nous
donne à voir : un dispositif sensible, une forme de vie, remodelée dans et par le vivant.
Ce rapport au vivant et cette appétence pour la série, la collection, pourrait laisser envisager que
l’oeuvre de Yaya Bela se déploierait — telles des ramifications ou un tissu racinaire dense, dans
tous les pans de sa vie, visant ainsi une folle exhaustivité des liens étroits entretenus entre son
expérience artistique et son expérience intimiste.
Il est certain donc, que d’autres objets viendront s’agglomérer à cette collection. Il est quasiment
tout aussi certain que ceux-ci, tels les précédents, se trouveront en lien avec un pan du réel vécu
ou fantasmé par l’artiste, à égale distance entre son intime et une forme d’universalité. Ce
panthéon personnel, cette collection d’objets s’érigeant tout à la fois comme l’illustration, le
contrepoids et le remède à une destinée et proposant tout à la fois de ré-enchanter le monde et
soigner les âmes blessées.

Dans le rapport de l’artiste à l’œuvre il est essentiel de mentionner la grande part d’œuvres participatives qu’elle déploie. Comme si son lien à la création ne pouvait être complet sans un rapport autre avec le public. Lors de ces dispositifs, échange, partage et coopération sont au fondement des œuvres participatives. Au cœur du dispositif, les « autres », celles et ceux qui habituellement sont exclu.e.s du système « art », sont invité.e.s à contribuer tel.le.s des êtres « politiques ». L’œuvre à venir est prétexte à la création d’une zone de rencontre, d’espaces de recherches et d’expérimentations et surtout de déploiement d’identités multiples. En allant à la rencontre du public, Yaya Bela réaffirme son désir d’engagement auprès de l’humain, sa sensibilité au monde et son désir de contribuer à la création d’espaces d’expression de soi permettant de renouer avec nos forces et nos vulnérabilités. Alors même que ce procédé collaboratif se nourrit de la multiplicité et de la richesse des êtres qui le composent, les pratiques utilisées par l’artiste viennent se mêler dans ces projets. Il n’est pas rare qu’ici, se chevauchent montages sonores, vidéos, photographies, dessins et usage de la terre, crue ou cuite. Comme si le lieu même de la rencontre humaine permettait le déploiement et l’hybridation des pratiques de l’artiste, par ailleurs plutôt bien cloisonnées.

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